Tous ensemble, rêver septembre

Transformer l’espoir en espérance. La crise sanitaire que nous venons de traverser nous a montré que l’école du XXe siècle a vécu. La rentrée scolaire 2020 doit tirer les leçons de ce que la société toute entière vient d'expérimenter. La FCPE fait le vœu cette année d’une rentrée différente et moins étriquée ; pour cela, elle a frappé à la porte de la société civile pour recueillir toutes les propositions qui changeraient culturellement l’école. 10 personnalités se sont déjà prêtées au jeu, avec 10 propositions coup de cœur.

La fin des classes sonne curieusement cette année. Après des mois d'une absence due au coronavirus, certains enfants ont repris le chemin de l'école, d'autres non, mais tous ont vécu une année surréaliste, privés d'enseignants, de camarades, de cantines, de sports… Nous avons été nombreux à croire que cela marquerait une rupture avec l'ancien monde, avec l'école de nos parents.

Mais aujourd'hui, la FCPE craint qu'à l'instar de ce qu'il se passe dans la société, la crise sanitaire ne soit pas une opportunité pour oser le changement mais un simple prétexte pour revenir encore plus vite, encore plus fort, à une école engluée dans le XXe siècle.

Pour y remédier et proposer une école enfin différente, plus bienveillante et égalitaire, la FCPE a souhaité donner la parole à différentes personnalités, venues tant du monde des arts que de celui de la recherche, des sciences, de l'écologie… L'idée n'était pas d'écrire un programme structuré qu'il faudrait appliquer de bout en bout, mais bien plutôt de distiller des pistes de réflexion, des idées novatrices portées par « la société civile », celle qui pense, réfléchit et innove au moins autant que les hommes et les femmes politiques qui nous gouvernent. Nous voulions que des citoyens engagés, aussi différents les un.e.s des autres que Ycare, Philippe Meirieu, Marc Lavoine, Raymond Domenech, Bernard Stiegler, Alain Chamfort, Yves Duteil, Nora Hamadi ou encore Isabelle Delannoy disent ce qui, selon eux, pourrait changer l’école d’aujourd’hui.

L'objectif ? Rêver une rentrée de septembre qui bouscule les habitudes et ouvre les imaginaires. Avec ses 10 propositions, la FCPE avance sur des mesures qui favorisent l'inclusion, comme le Cartable connecté qui permet à des jeunes hospitalisés de ne pas rompre le lien avec leur classe, l'apprentissage artistique avec les Fabriques à musique de la Sacem, l'égalité des femmes avec les boîtes à règles pour lutter contre la précarité menstruelle ou encore la formation à l'écologie de la maternelle jusqu'au lycée… 

Autant d'actions, petites ou grandes, qui contribueraient grandement à changer le quotidien de nos enfants. Il n'est plus temps d'attendre, pour que tous ensemble, nous rêvions septembre !

 

Mesure 1

Installer des boîtes à règles dans tous les sanitaires scolaires.

Dans tous les sanitaires des établissements scolaires, installer des boîtes avec des serviettes et des tampons hygiéniques ou des cups menstruelles, mises gratuitement à disposition des jeunes. Ces boîtes seront remplies grâce à des financements des collectivités et de l'État ainsi que des dons.

Mesure 2

Engager un vaste plan de recherche contributive sur les pratiques des technologies numériques.
 
Après le confinement, face au « screen new deal », et pour nourrir les travaux d’une indispensable convention pour l’éducation, pour en savoir davantage sur l'impact des pratiques du numérique sur les savoirs, les disciplines, les formations requises des enseignants, il est urgent de lancer un appel d’offre à destination d’écoles doctorales et de collèges et lycées candidats en permettant d’engager ensemble élèves, professeurs et chercheurs dans le cadre d’une recherche contributive sur l’impact et le rôle des technologies numériques dans le système académique.

Mesure 3

Mettre en lumière la création musicale et généraliser les fabriques à musique.
 
Sous l’impulsion d’auteur(e)s composit(rices)eurs, la Sacem et le ministère de l’Éducation nationale crée en 2015 la Fabrique à musique. Elle a pour but de soutenir la création musicale (chansons, électro, musique contemporaine, jazz, musique & image) à l’école de la maternelle au lycée. Le principe  : des auteurs-compositeurs se rendent dans les classes afin d’initier les élèves à l’écriture de texte et musique. L'opération est inscrite dans le projet pédagogique de la classe. Il s’agit pour les enfants et les jeunes d’aborder de façon directe les liens entre la création et le droit d’auteur ainsi que la connaissance des différents métiers de la création musicale, tout en proposant aux professeurs des écoles et des établissements scolaires et agricoles, de travailler avec les acteurs artistiques et culturels locaux. Les restitutions sont publiques, organisées dans des salles de spectacle en conditions professionnelles.
Actuellement, 215 classes bénéficient de ce programme qui a prouvé sa pertinence. L'objectif est d’étendre les 215 classes bénéficiant en 2020 de ce projet pour permettre à toutes les écoles, tous les collèges et lycées de France de créer une fabrique à musique : pour ce faire, il est indispensable qu'un véritable budget soit abondé par l'Etat. Ainsi, il sera possible de sortir d'un dispositif expérimental pour aller vers un projet partagé par le plus grand nombre.

Mesure 4

Identifier des professeurs principaux "médiateurs" au collège et au lycée.

L’école française manque cruellement de « médiateurs » entre les citoyens et l’institution. Quand les parents sont des « initiés », ils se débrouillent. Sinon, ils s’éloignent irrémédiablement. On veut « refonder l’hôpital » pour qu’il soit plus humain. On a raison. Mais il faut aussi « refonder l’école » pour qu’elle soit plus accueillante à tous les parents et mette en œuvre au quotidien la fraternité républicaine : pour cela donnons aux enseignants les moyens en temps et en matériel afin qu’ils établissent et gardent le contact avec tous les parents, y compris les plus éloignés de l’école.
La crise l’a confirmé : l’école française a un problème avec les familles les plus en difficulté socialement. Depuis longtemps déjà, ces dernières sont effrayées par l’institution scolaire et ne se rendent guère aux réunions. Elles ne connaissent pas vraiment les codes pour s’adresser aux enseignants et ne savent pas toujours comment aider leurs enfants au mieux dans leur travail scolaire. Ainsi arrive-t-il qu’on se contente de regretter leur absence et de les contacter en urgence en cas d’indiscipline grave ou de problèmes d’orientation.
Cette situation n’est pas tolérable. Il est temps que l’école donne les moyens aux enseignants de n’être plus ni en situation défensive ni en situation d’attente par rapport à ces parents. C’est à elle à faire le premier pas, dans l’intérêt des enfants.
On peut évidemment, pour cela, s’appuyer sur les délégués de parents qui sauront, parfois, comment joindre telle ou telle famille et l’impliquer dans la vie de l’école. On peut aussi travailler avec les associations de quartier et même les services sociaux. On peut, organiser des « cafés des parents » afin de créer le contact et d’apaiser les craintes. On peut surtout s’astreindre à tenter d’établir des contacts réguliers avec les familles les plus éloignées de l’école.
Mais tout cela prend du temps. À l’école primaire, plutôt que de faire crouler les directrices et directeurs sous les enquêtes de toutes sortes, plutôt que de leur donner un statut de « petit chef » dont ils ne veulent pas, déchargeons-les plus significativement pour assurer la relation avec les parents.
Au collège et au lycée, donnons toute son importance au professeur principal. Au lieu d’une prime dérisoire, déchargeons-le de deux ou trois heures d’enseignement (ce qui lui permettrait d’avoir d’une à deux demi-journées par semaine pour assumer sa charge). Battons-nous pour qu’il dispose dans l’établissement d’un bureau avec un téléphone et un ordinateur, afin qu’il puisse contacter tous les parents régulièrement, les recevoir et les accompagner en se faisant le porte-parole de l’équipe pédagogique.

Mesure 5

Transformer l’éducation aux médias et à l’information en une "matière" à part entière.

Si les plus jeunes ne sont pas accompagnés à construire une analyse critique de cet univers, qui compose, plus que jamais, leur réalité quotidienne, c’est toute leur appréhension du réel qui se trouve bouleversé. A l’heure où les grandes puissances se livrent une guerre larvée, notamment via des campagnes de désinformation fomentées pour manipuler l’opinion, peut-on véritablement laisser nos enfants sans outils pour faire face à ces assauts directs, sur leur compte Instagram ou Snapchat, via Whatsapp ou Youtube ? Comment peut-on se faire fort de développer leur esprit critique dans un monde complexe, sans les armer pour décrypter ces mécanismes ?
Si cette éducation populaire aux médias et à l’information s’opère aujourd’hui souvent dans les interstices du temps scolaire, ou dans des ateliers en centre sociaux ou en maison de quartier, il est urgent que cet enjeu soit érigé en « matière ». Elle doit totalement investir l’école, et chaque élève doit pouvoir bénéficier de ces savoirs. Mais cette « matière » doit convoquer d’autres pratiques d’enseignement. Nous ne plaidons pas ici pour une transmission classique, par des cours magistraux, mais bien par la création de médias de proximité, de médias scolaires qui doivent permettre à chaque élève de produire ses propres récits. C’est par l’appropriation de ces espaces et de ces codes que l’apprentissage de la production de l’information, et donc de la désinformation, peut s’opérer. Enfin, ce n’est pas seulement aux professeurs de s’emparer de cette « matière », mais bien à des acteurs de l’éducation populaire, qui doivent encore plus investir l’école, dans un dialogue, voire, une co-construction avec les structures jeunesses des villes, des centres-bourgs, ou des campagnes, mais aussi, à des journalistes chevronnés, issus des rédactions, qui dans cet exercice de pédagogie, pourront interroger leur pratique professionnelle dans les échanges - en miroir - avec ces élèves. Car s’il faut poser l’enjeu des représentations et des croyances chez nos enfants, il nous faut aussi, légitimement, nous interroger pour les journalistes. A l’heure ou sept français sur dix ne font pas confiance à l’indépendance des journalistes et de la presse, où 71 % des Français n’ont pas le sentiment que les médias rendent « mieux et davantage compte » de leurs préoccupations, créer ces espaces ne pourra qu’induire des mutations dans les rapports entre les français et leurs médias.
Enfin, l’éducation aux médias et à l’information ne peut être cantonnée à la lutte contre la désinformation. Si nous le pensons au prisme de l’éducation populaire, c’est bien parce qu’il ne s’agit pas seulement de la construction d’une grille de lecture du monde au travers des médias, mais bien de la construction d’une lecture critique de la société et de ses représentations médiatiques. Il s’agit, avant tout, et en premier lieu, de rendre les citoyens acteurs de leur information.

Mesure 6

Former les élèves aux sciences du vivant de la maternelle au lycée.

Les sciences du vivant ont fait de formidables progrès qui influencent la vie de chaque citoyen, au quotidien comme au long terme. Mais nous peinons encore à acter cela dans nos enseignements, où la part de la biologie (les « SVT ») a même décru récemment, en proportion inverse de sa place dans nos vies. Bien plus, notre lien actuel au monde naturel est impuissant à juguler la crise environnementale et anticipe mal les crises sanitaires. On peut juger insuffisantes les connaissances actuelles en sciences du vivant, mais il est frappant de voir qu’elles ne font partie ni des piliers de la formation des citoyens, ni du bagage culturel de base des décideurs. Comment les sciences du vivant pourraient-elle donc contribuer aux concerts des connaissances qui fondent notre action ?
Par l’enseignement. Pour la prochaine génération, les sciences du vivant peuvent être un formidable levier dans la préparation d’une société responsable, à deux conditions.
D’abord, elles doivent davantage permettre de voir les conséquences de nos actes qui ne sont jamais isolés : comment un antibiotique ou un pesticide mal utilisé ne contribue qu’à sélectionner des résistances le lendemain ; comment certains mécanismes sont des outils (la diversité génétique dans un champ et les haies peuvent faire obstacle à la propagation des maladies ; mettre plus de matière organique dans le sols agricoles peut réduire l’effet de serre) ; comment consommer, par exemple un panier de fraises, modifie les sols, les eaux, le climat et la vie sociale du lieu de production. Une biologie riche en écologie et en science de l’évolution peut donner aux prochaines générations les clefs d’un monde complexe.
Ensuite, les sciences du vivant doivent percer très tôt dans la formation, d’abord sous forme de sensibilisation dès le primaire, puis en un temps disciplinaire conséquent et spécifique du tronc commun au collège et au lycée. A chaque fois, elle doit être clairement interfacée aux autres disciplines : histoire-géographie, sciences humaines et sociales… Actuellement, absente au primaire et au lycée après la seconde, la biologie est en régression alors qu’en tant qu’outil pour observer, tester, anticiper, démêler le complexe, elle devrait être au cœur de nos gestes quotidiens alimentaires, sanitaires, hygiéniques ou sexuels. Il y a des jours où on ne compte pas ou bien où on ne lit pas, mais aucun jour sans manger ni sans hygiène. Pour être à la hauteur d’un enjeu aussi intense, la sensibilisation doit commencer dès la première formation de l’élève.
En ce temps où la crise environnementale et la montée de certains obscurantismes conduisent à une perte de repères, toutes les disciplines du savoir doivent être conviées : sans hiérarchie, mais sans aucune absente. Les sciences du vivant doivent être conviées dans la formation, initiale et continue des enseignants, puis de là, conviées dans la formation des enfants dès leur jeune âge. Les sciences du vivant, dans leurs dimensions intégratives écologique et évolutive, sont encore de belles absentes qui, en l’état actuel, demeurent les belles au bois dormant de l’avenir humain.

Mesure 7

Privilégier les classes multi-niveaux pour favoriser l'entraide entre pairs.

Je plaide pour une école où la diversité des âges évolue ensemble au primaire comme au collège et au lycée, et non plus par classe d'âge ; où l'organisation des classes se ferait par discipline jusqu'à atteindre le niveau requis pour chacune. Ainsi les enfants évolueraient selon leurs prédispositions et talents, rapides à un endroit, lents à un autre. Une telle école respecterait les processus d'apprentissages naturels entre les enfants, les rythmes naturels et les personnalités de chacun et pourrait passer les crises telles celle du Covid cette année 2020, en une résilience tranquille sans manques dans les apprentissages, ni les angoisses qui y sont liées chez nos enfants. Une telle école permettrait probablement d'offrir un temps libéré pour les apprentissages pratiques de la vie humaine de base, comme savoir cultiver, construire, tisser, coudre, cuisiner, fabriquer, en sus des savoirs théoriques.

Mesure 8

Créer des programmes fonctionnant sur le modèle de la sédimentation plutôt que celui de l’accumulation.

La crise sanitaire a montré à quel point les « programmes scolaires » dictent la temporalité de l’école. Élaborés comme des inventaires de plus en plus précis et rigides de connaissances et de compétences, ils ne laissent aucune place à la souplesse, à la différenciation pédagogique et à la créativité enseignante. L’angoisse de ne pas les terminer est donc partagée par tous. Or, l’expérience du confinement a confirmé que l’injonction à terminer les programmes est aussi un facteur d’inégalités scolaires. Pourquoi donc ne pas imaginer des plans d’études plus souples, aérés, fonctionnant davantage sur le modèle de la sédimentation que celui de l’accumulation ?

Mesure 9

Résorber l'échec scolaire en agissant très tôt sur les troubles de l’apprentissage.
 
L'échec scolaire est le véritable cancer des écoles. Il ne se mesure pas seulement au nombre de jeunes sortant du système scolaire sans diplôme chaque année. Il se mesure aussi à l'aune des rêves avortés, des orientations contrariées, des humiliations éprouvées, des mal-être et souffrances accumulés, des désordres engendrés, des violences envers soi et les autres provoquées. Et ce, tout au long de la scolarité.
S'ils ne sont souvent reconnus comme tels qu'au collège, la plupart des échecs scolaires s'enracinent dans l'enfance et dans des difficultés d'apprentissage qui sont repérables dès la fin de l'école maternelle et le tout début du primaire. Ses principales causes sont la faiblesse linguistique et culturelle générale des parents concernés, mais aussi des troubles spécifiques de l'apprentissage aux origines multiples (dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, dysphasie, dyspraxie, troubles de l'attention, hyperactivité).
Ces difficultés ne sont pas des fatalités. Elles pourraient être considérablement résorbées si l’État et les collectivités territoriales décidaient de s'en donner les moyens dans une véritable action partenariale au niveau local. Il faut pour cela mener en particulier deux actions majeures. La première est la mise en place d'un système de soutien scolaire coordonné qui permette de venir en aide sur de courtes ou moyennes durées à chaque élève en difficulté, tout au long de sa scolarité. Au lieu de cela, l'on constate aujourd'hui sur le terrain un saupoudrage de dispositifs publics ou privés à faible capacité d'accueil et non coordonnés. La deuxième action majeure est la relance d'une véritable offre de prises en charge par les professionnels de l'orthophonie et de la psychomotricité. Car en l'état actuel, la plupart des troubles de l'apprentissage diagnostiqués ne sont pas suivis de soins et cette offre de soins est très inégale selon les territoires.
Ces deux actions majeures de lutte contre l'échec scolaire supposent l'action partenariale de l’État et de l'ensemble des collectivités territoriales dans le cadre de véritables contrats locaux d'éducation.

Mesure 10

Attribuer un cartable connecté aux enfants hospitalisés privés du lien avec l'école.

Attribuer un cartable connecté à chaque famille demandeuse pour son enfant atteint d'une maladie qui l'empêche d'aller en classe. Le Cartable connecté est un dispositif qui permet l'inclusion d'enfants souvent « mis sur la touche » durant leurs périodes d'hospitalisation. Avec des caméras installées dans la classe, l'enfant malade peut continuer à rester dans la dynamique de la classe, à dialoguer avec ses pe-tits camarades et son enseignant.e.s tout en posant des questions, en apportant des réponses, en écoutant les autres, etc. Développé selon une technologie française, il garantit la confidentialité des données.