« L’enjeu est la capacité des parents à se faire entendre »

Les résultats des dernières élections scolaires confirment une tendance amorcée ces dernières années : un recul progressif des associations représentatives au profit des associations locales non affiliées et des listes indépendantes. Quelles explications ? Quelles conséquences ? Les réponses d’Agnès van Zanten, sociologue, coauteure de Sociologie de l’école (éd. Armand Colin).

Comment expliquer cette tendance au « désengagement » des parents dans les associations représentatives ?
Agnès van Zanten : Il existe un repli général du collectif dans la société et une angoisse grandissante, chez les parents d’élèves, de parvenir à assurer la scolarité des enfants dans un environnement de plus en plus concurrentiel. Néanmoins, ce n’est pas la seule explication. En France, l’école reste peu ouverte aux familles et n’invite guère les parents à des prises de décision significatives : leur consultation se cantonne souvent à des questions d’ordre matériel (organisation de la fête d’école par exemple). Aussi, les familles – en particulier celles issues des classes populaires qui sont les plus éloignées de l’école – ne voient pas l’intérêt d’un tel engagement et préfèrent s’impliquer au niveau personnel dans le suivi scolaire de leur enfant ou, éventuellement, sur une liste indépendante sans vocation politique.

Qu’en est-il des parents issus des catégories plus favorisées ?
Traditionnellement, ils s’investissent davantage dans l’école. L’une des motivations est par exemple la volonté d’être informé de ce qui se passe dans l’établissement et d’en contrôler certains aspects (ce qui se fait en matière de discipline, la manière dont les ressources allouées à l’école sont utilisées, etc.). Or, dans ce cas, les parents ne voient pas non plus, nécessairement, l’intérêt d’être rattaché à une association représentative. Par ailleurs, s’impliquer dans une association représentative suppose bien souvent une grande disponibilité pour se tenir au courant des réformes, prendre connaissance des enjeux (etc.) et une capacité à prendre la parole. Cela rebute certains parents, d’autant plus que l’institution scolaire peut se montrer rétive à cette implication.

C’est-à-dire ?
Dans les établissements très hétérogènes où les parents engagés sont peu nombreux, l’institution scolaire renvoie bien souvent aux parents l’idée qu’ils ne sont pas représentatifs : d’abord parce qu’ils n’ont recueilli qu’un faible nombre de voix et ensuite, parce qu’ils appartiennent à une classe sociale supérieure peu représentative de la variété du public présent dans l’établissement. C’est d’autant plus gênant que c’est un peu vrai : ces parents d’élèves ont parfois beaucoup de mal à établir le contact avec certaines familles éloignées de l’école malgré les efforts déployés... Notons enfin que les associations représentatives souffrent aussi, parfois, de la contradiction entre les positions politiques défendues au niveau national (pour la mixité sociale, contre les inégalités, etc.) et les pratiques de certains parents militants ou adhérents sur le terrain (volonté, par exemple, de contourner la carte scolaire)…

Quel est le risque de cet affaiblissement des associations représentatives ?
Une capacité plus faible à porter la voix des parents d’élèves. L’un des intérêts d’une association représentative comme la FCPE est qu’elle peut avoir une vision globale, à l’échelle d’une commune et d’un département, de ce qui se passe dans les établissements scolaires. Elle a alors la capacité à construire du « collectif », c’est-à-dire à impulser des politiques d’ensemble et à peser dans le débat, le cas échéant, pour obtenir des avancées significatives. Ce n’est pas le cas des listes indépendantes qui peuvent s’impliquer fortement au niveau d’un établissement mais rarement au-delà. Par ailleurs, l’efficacité de ces listes indépendantes reste très liée aux personnes qui les animent : dans la mesure où il n’existe pas de structure pour faire perdurer des principes, des valeurs, des pratiques, rien ne garantit la continuité et la stabilité du travail entrepris.

Et au niveau national ?
Là encore, la parole des parents a beaucoup moins de chance de se faire entendre si elle n’est pas soutenue par un collectif structuré. Le risque est que le gouvernement contourne de plus en plus les organisations représentatives et se fasse lui-même le porte-parole de l’opinion publique en se basant, par exemple, sur des sondages. Le problème est que la participation à un sondage ou à un vote individuel est très différente de la construction d’un point de vue collectif par le biais d’échanges et de débat. En effet, les gens interrogés individuellement tendent à être plus individualistes et plus conservateurs. Aussi, on aura moins de chance de faire advenir des choix de société audacieux et délicats si le point de vue des parents sur l’école n’est pas porté par un discours construit collectivement.

Infos pratiques

Résultats des élections des représentants des parents d’élèves des 12 et 13 octobre 2018 (29 et 30 septembre à la Réunion et Mayotte).
 
Nombre d’écoles : 45 353
Nombre d’établissements du second degré : 7 931

Nombre de votants
- Premier degré : 4 362 561 votants
- Second degré : 1 754 043 votants
Soit un total de 6 116 604 votants
 
Nombre de sièges pourvus
- Premier degré : 246 756 sièges pourvus (soit 97,67% des sièges à pourvoir)
- Second degré : 44 514 sièges pourvus (soit 96,01% des sièges à pourvoir)
 
Taux de participation
- Premier degré : 47,36% (+ 0,99 points par rapport à 2017)
- Second degré : 21,97% (+ 0,10 points par rapport à 2017)
 
Répartition des sièges dans le premier degré
FCPE : 11,32%
PEEP : 1,87%
UNAAPE : 1,43%
Listes d’union : 5,71%
Parents non constitués en association : 64,59%
Association locales non affiliées : 15,08%
 
Répartition des sièges dans le second degré
FCPE : 38,14%
PEEP : 8,69%
UNAAPE : 2,30%
Listes d’union : 8,03%
Parents non constitués en association : 23,56%
Association locales non affiliées : 19,27%