« La banalisation de la pornographie favorise le renforcement des discours misogynes »

En juin dernier, des professionnels de santé ont lancé un appel solennel aux pouvoirs publics, inquiets de l’accès de plus en plus banalisé aux images pornographiques chez les enfants et adolescents. En parallèle, la publication par l’Éducation nationale le 13 septembre d’une nouvelle circulaire sur l’éducation à la sexualité dans le primaire et secondaire a de nouveau fait l’objet des rumeurs les plus folles sur les réseaux sociaux. Sophie Jehel, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Paris-8, invitée de la FCPE nationale dans le cadre de ses journées thématiques, évoque la façon dont les pratiques numériques des adolescents peuvent affecter la construction de leur sexualité, et invite les parents à se saisir de cette question.

Beaucoup d’alertes ont été lancées ces derniers mois sur l’exposition des enfants et adolescents aux images pornographiques. Le phénomène est-il alarmant ? Avez-vous constaté par ailleurs que les adultes le sous-estiment ?
La situation est en effet inédite dans son ampleur, et dans la facilité d’accès aux images pornographiques. La banalisation de ces images et celle de l’accès aux mineurs sont productrices par elles-mêmes de nombreuses inquiétudes. Dans la recherche que j’ai conduite récemment sur la réception des images violentes, sexuelles et haineuses les parents en ont souvent témoigné. Mais il est difficile pour les adultes de se rendre compte de la présence de ces images sur les fils d’actualité des réseaux sociaux de nombreux adolescents. Selon leur proximité avec les adolescents, les adultes sont conscients ou non des difficultés que cela peut entraîner pour eux. Parmi les responsables éducatifs, les infirmiers dans les établissements scolaires font partie des plus inquiets et des mieux informés de ces visionnages et de la transmission des représentations de la sexualité qu’ils occasionnent.

 
Au terme de la recherche que vous avez menée, avez-vous réussi à déterminer l’impact de ces images non sollicitées sur la représentation que se font les adolescents de la sexualité ?

La réception des images sexuelles non sollicitées est très différenciée selon le genre et les contextes sociaux et culturels. Dans la plupart des milieux sociaux, les garçons partagent des normes de virilité qui banalisent la consommation et la circulation de ces images. Il leur est donc souvent difficile de remettre en cause les représentations de la sexualité qu’elles véhiculent et auxquelles ils sont exposés au niveau du collège. Ces images sont généralement perçues comme intrusives et agressives par les filles. La représentation très dégradée des femmes que véhiculent ces contenus entretient un regard très négatif de la sexualité. Dans des contextes culturels rigoristes, les filles cherchent à protéger leur réputation en brandissant un tabou sur toute représentation sexuelle, il leur est de ce fait difficile de tenir un point de vue personnel et autonome sur ces questions. La banalisation de la pornographie favorise ainsi le renforcement des discours misogynes et celui des discours rigoristes.


L'interdiction des sites pornographiques aux mineurs changera-t-elle vraiment la donne ?
L’interdiction de l’accès des mineurs face à la pornographie est déjà inscrite dans le code pénal. L’enjeu d’une nouvelle réglementation serait de donner à cette interdiction une efficacité minimale, de rappeler la règle de droit et de lui donner une visibilité. La faiblesse de la régulation actuelle fait le lit de régulations privées fondées sur des normes traditionnelles, voire réactionnaires qui enferment les jeunes filles dans des systèmes d’interdiction qui sont beaucoup plus violents que le droit actuel.


Comment les parents peuvent-ils agir ? Et sont-ils les mieux placés pour entamer le dialogue sur ce sujet souvent tabou ?
Les parents restent des interlocuteurs essentiels pour les adolescents dans leur rapport aux médias, aux images, et aux normes de comportement en matière de sexualité, d’une façon explicite ou implicite. Il s’agit en effet d’un sujet tabou pour un grand nombre de parents. Il est en effet important que la sexualité des adolescents relève de l’intimité des jeunes et ne soit pas exposée aux parents. Mais les questions de respect des femmes, le respect de son corps, l’attention aux émotions dans la relation aux autres peuvent être des sujets plus aisés à aborder par les parents et essentiels pour conforter une approche confiante de la sexualité.

Infos pratiques

• A lire dans le nouveau numéro de la Revue des parents de la FCPE (n°420, octobre 2018), une interview croisée de Véronique Séhier, co-présidente du Planning familial et de Yaëlle Amsellem-Menguy, sociologue : « L’éducation à la sexualité, entre peur et rumeurs ».
• A lire le communiqué de presse de la FCPE : « Éducation à la sexualité, éducation aux médias, même combat : dire stop aux fake news ».